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CLINIQUE SAINT-SAUVEUR
11/08/2006 06:32
Suzanne attendait l'aube à côté de la porte de la clinique...
Encore une journée de travail de passée, sans casse...
Bientôt le retour au bercail à travers les bois gelés bordant l'autoroute...
Ensuite, le chat qui attendait dans le vestibule son repas et quelques caresses...
Puis elle se doucherait, et mangerait un fruit avant d'aller dormir un peu.
Le beau boulot que j'ai-là, pensa t-elle en enfonçant son bonnet jusqu'aux sourcils.
Bien-sûr, elle savait que travailler de minuit à huit heures du matin avait ses avantages,
les congés de récupération, les primes, les ambiances si particulières dans les étages...
Elle en savait néanmoins les inconvénients, les notait même de plus en plus à chaque jour.
Un quotidien en décalage horaire, des loisirs à passer quand tout le monde travaille.
Des passe-temps à inventer de passade en passade, du dessin au cyberscrabble,
d'une maison à décorer puis à revendre pour passer à la suivante, au fil des lubies,
elle consommait son début d'automne comme on reste immobile devant une cheminée,
jetant bûche après bûche sa cinquantaine dans le feu dévorant du temps qui passe.
Elle s'en retrouvait parfois les yeux humides, face à une solitude à perte de vue...
La neige stagnait dans les caniveaux, bavait jusqu'au pied des horodateurs en panne...
Le soleil passait sans chaleur, en douce, dans un ciel peigné de fumées grises et roses...
Suzanne crut reconnaître un piéton devant la pharmacie du boulevard Sainte-Anne.
Amusant, cette ressemblance avec un gars qu'elle avait fréquenté de temps à autres...
Elle monta le son de son auto-radio et se concentra sur la conduite de l'Infiniti.
Ce soir, elle espérait avoir enfin un courriel de sa fille... Six jours déjà..!
Elles s'étaient passé un savon pour presque rien, un malentendu idiot...
Suzanne avait laissé entrevoir un projet de déménagement en Europe,
dans une petite ville de Belgique où résidait une vieille copine d'école...
Marie-Fleur avait déversé son dépit dans un torrent de mots sans complaisance.
Vivre la nuit dans un coin sans printemps, passer du froid extrème à l'été étouffant,
sans sas, sans le moindre temps de s'habituer un peu à des dehors plus humains,
à des routines moins opposées, à ces navettes moins brutales entre Cuba et l' Alaska...
Bien sûr, à Saint-Sauveur, sa collègue Marjolaine avait réussi à aimer tout ça,
à en oublier sa nostalgie du Sénégal, son pays de naissance. Brave Marjolaine..!
Elle pensa qu'elle s'inscrirait sur ce site belge de rencontres dont on lui avait parlé,
si elle se réveillait assez tôt, ce soir, et si sa fille ne la sonnait pas sur Messenger.
Bien sûr, elle ne pensait qu'à rencontrer des amies et des amis pour le cas où...
Bien sûr, elle n'était pas moins vertueuse que les autres, ni plus obsédée par le sexe,
et se sentait donc le droit de prendre sa chance comme tout le monde, sans à priori.
Grisette miaula à son habitude, entre deux ronronnements, dès la porte poussée.
Suzanne jeta un oeil sur les messages arrivés pendant la nuit... Rien d'important...
Juste un autre ultimatum du maudit parisien qui la suivait de forum en forum,
un chasseur d'orpheline, un manipulateur de pacotille, un gourou virtuel sans doute...
Elle enfourna son uniforme vert dans la machine à laver et oublia le triste sire.
DSMoon*** (Allo.be / 2006)
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